Le dérèglement climatique met en ébullition notre santé mentale

Effet insoupçonné du réchauffement climatique : en plus d’impacter la biodiversité, il dégrade notre santé mentale. Aujourd’hui, de plus en plus d’études scientifiques rendent compte d’un phénomène d’écoanxiété massif. Pour les personnes touchées, deux solutions : déprimer, ou militer.

Jules, étudiant écoanxieux, à la sortie de faculté de Lettres de Clermont-Ferrand

Lendemain de rentrée à la faculté de lettres de Clermont-Ferrand, pour Jules, 21 ans. Sur les murs de l’entrée de l’université, le tout nouvel étudiant en philosophie placarde déjà des affiches pour appeler à une mobilisation en fin semaine : rendez-vous vendredi devant la préfecture du Puy-de-Dôme pour participer à la grève mondiale pour le climat. A l’origine de ce mouvement, appelé “Fridays for future”, la jeune militante Greta Thunberg. 

Comme elle, Jules s’estime écoanxieux. 
Un mot qui sonne comme un trouble mental, mais qui, pour l’heure, n’est pas un diagnostic psychiatrique officiel. Sans être une pathologie à part entière donc, l’écoanxiété se définit comme une grande inquiétude provoquée par la crise environnementale et l’action collective insuffisante face à elle. Les jeunes seraient particulièrement touchés : “J’ai l’impression que tout le monde est un peu écoanxieux aujourd’hui”, témoigne Jules, qui mentionne une étude publiée dans The Lancet en 2021 :  84 % des 16-25 ans disent être inquiets (et 59% très inquiets) face au réchauffement climatique. D’après l’Observatoire de l’écoanxiété (OBSECA), 2,5 millions de Français souffriraient de ce trouble, au point de devoir consulter un psychothérapeute. 

Car ce flot d’émotions négatives, allant de la colère à la déprime, peut avoir de réelles conséquences sur la vie des gens. Toujours selon l’étude parue dans The Lancet, un tiers des 16-25 ans ne veulent plus d’enfants. 
Autre impact : certains changent de voie professionnelle.

“On n’ira jamais dans l’espace, on sera mort avant”

Avant d’entrer en deuxième année de philosophie, Jules a obtenu une double licence maths physique. Lui qui voulait devenir astrophysicien et participer à envoyer l’Homme sur Mars s’est dit : “On n’ira jamais dans l’espace, on sera mort avant”. Alors, finalement, il a décidé de consacrer sa vie à informer les gens, en visant le métier de journaliste spécialisé sur la question environnementale, “pour qu’un jour, des humains puissent encore se poser la question de la conquête spatiale”.

Entre ses rêves d’espace et ses préoccupations pour l’environnement, c’est notre planète qui a pris le dessus. Ces questions écologiques il commence à se les poser au lycée, c’est là qu’émerge son écoanxiété, quand il commence à se renseigner. “En terminal, je ne pensais qu’à ça, ça me prenait la tête, je voulais en parler avec tout le monde !”. En plus de cette obsession de débat, Jules met en place des actions pour s’aligner avec ses valeurs : les écogestes “anecdotiques”, ne plus manger de viande, prendre le train, boycotter MacDo…

Puis il commence peu à peu à militer, tracter, manifester, allant jusqu’à la désobéissance civile en bloquant l’assemblée générale de Totale Energie. Depuis deux ans, il publie aussi des citations et témoignages autour de l’écoanxiété sur son compte Instagram.

Des écoanxieux chez les psys

L’activisme est un bon moyen pour dépasser son trouble, sa colère ou son angoisse, selon Christine Baroni, psychologue à Clermont-Ferrand. “D’ailleurs, les écoanxieux que je vois en consultation, ne sont pas les militants, mais plutôt ceux que leurs émotions paralysent, qui disent “le monde est foutu””. Pour prendre en charge ce type de patients, la praticienne essaye justement de les amener à agir, pour “reprendre un peu de contrôle, à son niveau”. Ils sont de plus en plus nombreux à venir à son cabinet en présentant de l’écoanxiété, et d’après son expérience, beaucoup veulent, comme Jules, changer de vie. “Certains me disent qu’ils ne veulent plus travailler chez Dassault par exemple !” Un phénomène de changement de carrière déjà accru par la pandémie de Covid-19.

Pour Rémy Dupont, un autre psychologue clermontois, les patients qui présentent de l’écoanxiété souffrent avant tout…d’anxiété. Et la crise écologique l’aggrave. Pour la soigner, un suivi psychiatrique avec traitement médicamenteux peut être efficace, mais aussi la psychothérapie sur le long terme. Elle consiste à remettre en question certaines croyances ou certaines stratégies : “je remarque qu’ils suivent beaucoup l’actualité, et que leurs réseaux sociaux sont inondés de contenus anxiogènes sur l’environnement. Alors prendre de la distance avec cette affluence d’information peut faire du bien”.

En 2021, une équipe de chercheurs australo-néozélandais a proposé fin une définition de l’écoanxiété et une échelle de mesure, appelée désormais échelle d’écoanxiété de Hogg. Puis une autre équipe de chercheurs et praticiens a transposé l’échelle dans l’univers francophone et a mené plusieurs études. Celles-ci ont montré que la prise en charge de l’écoanxiété par un suivi psychothérapeutique diminuait d’environ 20% l’intensité du trouble au bout de 16 séances en moyenne.

Vers une révolution festive ?

Pas question de se couper d’information pour Jules. Il considère son écoanxiété “plutôt positive”, comme un moteur à l’action : “C’est plutôt sain de ne pas être indifférent à un monde qui devient malade, non ?”
“Attention à ne pas trop en faire”, avertissent quand même les praticiens. En étant hyperactif dans son activisme, on peut tomber dans le “burn out militant”, avec l’impression de ne jamais agir assez, il faut plutôt trouver le juste milieu. Jules, conscient du phénomène, préserve sa santé en préférant agir un peu que pas du tout, “personne n’est parfait”. Mieux, pour lui, une “révolution festive est possible”.

Emeric Enaud